À grands pas, le Roi Année parcourt la salle des miroirs de son palais merveilleux. Ses bottes résonnent sur le sol de marbre. Les fleurs dans leurs vases tremblent sur les étagères. Les fées et les lutins se cachent derrière les meubles, pas un d’entre eux n’ose montrer son nez. Même Polisson, le chat noir, préfère se réfugier entre les longs poils du tapis. Quand le Roi Année est de mauvaise humeur, plus rien ne bouge dans le palais. – J’espère que cette année, les gens de mon Royaume Au-Dessus ont été plus propres et moins gaspilleurs. Mais je n’en suis pas si sûr! Cela m’inquiète beaucoup, dit tout haut le Roi Année. – Mouaou! Moi aussi, je l’espère, chuchote Polisson entre ses moustaches. Sinon, ils vont encore avoir une punition. Et mouaou! J’aime pas les punitions, Miaou! Le Roi Année s’arrête devant un grand miroir. Les bras croisés, il regarde attentivement le premier. – Miroir de l’année écoulée, montre-moi ce qui se passe Au-Dessus. Le miroir s’anime lentement. De la fumée noire monte de plusieurs cheminées et salit le ciel bleu. Sur la rivière, des bouteilles de plastique et des vieux papiers flottent lentement. Des gros tas d’ordures apparaissent aussi. – Ah quelle catastrophe, quel désespoir! Je ne veux pas en voir plus. Le Roi Année tourne brusquement le dos à son miroir magique. Il est très fâché, mais aussi très triste. – Les gens du Royaume Au-Dessus ne font vraiment pas attention, miaule Polisson. Le Roi va encore être obligé de leur donner une leçon. Et mouaou! J’aime pas les leçons. Miaou! À pas très vifs, le Roi Année sort de la salle des miroirs et traverse tout son palais. Il marche très vite. Les fées et les lutins le suivent. Mais ils font attention de ne pas se faire voir. Polisson marche lui aussi sur la pointe des pattes, pour ne pas se faire remarquer. À la queue leu leu tout le monde se rend dans la grande cuisine. Le Roi Année est penché sur un grand tiroir. Il en sort une immense cuillère, mais la jette au loin. Polisson a juste le temps de sauter de côté, la cuillère a failli le recouvrir complètement. La main replonge dans le tiroir et en retire une fourchette. Le Roi Année la regarde attentivement, mais fait non de la tête et la rejette aussi. Elle se plante tout droit dans le plancher, les fées et les lutins se retrouvent prisonniers derrière les barreaux. Tout à coup, le Roi Année se redresse. À la main, il tient un grand batteur à œufs. Ses yeux brillent. – Ah, le voilà! J’espère que ce sera la dernière fois que je vais m’en servir! Toujours sans faire attention aux lutins et aux fées, le Roi Année sort de son château. Juste devant coule une belle rivière avec une eau très claire. Le Roi se penche sur l’eau et la caresse doucement du bout des doigts. L’eau se met à chanter. – Eau, jolie eau de cristal. Cette année encore, je vais devoir me servir de toi pour punir les gens du Royaume Au-Dessus, lui murmure le Roi Année. Il plonge le batteur à œufs dans la rivière et se met à tourner la manivelle. Il tourne de plus en plus fort. Il tourne, il tourne, il tourne... – Flouch, flouch, flouch, chante la rivière. Au fur et à mesure que le batteur à œufs fonctionne, la rivière commence à mousser. Il y a de plus en plus de mousse. Tellement de mousse qu’elle se répand maintenant sur les herbes. Puis, il y en a sur les rochers, et sur le petit pont tout près. Peu à peu, la mousse recouvre tout. Le Roi Année s’arrête enfin et contemple son travail en hochant la tête. Puis, il rentre dans son château. Derrière lui, les fées, les lutins et le chat Polisson essaient de se sortir de ce gros tas de mousse. – Oh Hisse, oh Hisse, encourage Polisson. Et mouaou! J’aime pas la mousse! Miaou! Les fées et les lutins le tirent par la queue pour le sortir d’un grand banc de mousse. Pendant, qu’ils se tirent et se poussent, le Roi Année revient dans la salle des miroirs. Il s’arrête devant un second miroir. – Miroir du mois de janvier, montre-moi le Royaume Du-Dessus, dit-il. Le deuxième miroir s’anime. De la neige blanche recouvre tout. On ne voit plus les dépôts d’ordures, on ne voit plus les cheminées, on ne voit plus la rivière. Tout est blanc. – Oh, oh! Ça y est voilà la punition. Les gens du Royaume Au-Dessus vont geler tout le mois de janvier. Et mouaou! J’aime pas geler! Miaou! Polisson, les moustaches givrées, se jette alors sur son tapis. Les poils se penchent vers lui et l’entourent. Ils lui font une belle couverture. Dans le miroir, des gens qui marchent sur les trottoirs et glissent. Des moteurs de voiture crachotent et s’étouffent. Le Roi Année éclate de rire. – Allez les grands, faites un peu d’exercice! – Mouaou! j’aime pas les exercices! Miaou! grimace Polisson, la queue enroulée devant les yeux pour ne rien voir. Sur le miroir, des enfants patinent et font des bonshommes de neige et du traîneau. Le Roi Année applaudit. – Bravo les petits, amusez-vous bien! – Mouaou!! J’aime bien m’amuser! Miaou! Polisson redresse ses oreilles. Le Roi Année s’en va alors et ses pas résonnent sur le sol de marbre de la salle des miroirs. Les fées et les lutins sortent un à un de derrière les meubles qui les cachent. – Il faut faire quelque chose, dit une fée. On ne peut pas laisser les gens du Royaume Au-Dessus geler toute l’année. – Mouaou! J’aime pas faire quelque chose! Miaou! Polisson se recouche en étirant ses pattes. – Il faut prévenir tout le Petit-Monde, les fées, les lutins, les elfes et les génies. Tout le monde doit se mettre au travail pour ramener le beau temps. Allons-y, vite! décide un lutin. Aussitôt dit aussitôt fait, le Petit-Monde du Royaume enchanté part en file indienne pour le Royaume Au-Dessus. Polisson ouvre un œil. – Et mouaou alors? Ils sont tous partis! J’aime bien quand ils sont tous partis. Je peux dormir en paix! Miaou! Polisson se recouche et s’endort.